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7 décembre 2020: Mourir en moderne. Une sociologie de la délégation

7 décembre 2020: Mourir en moderne. Une sociologie de la délégation

Soutenance de la thèse de Marine Jeanne Boisson (LIER-FYT) intitulée "Mourir en moderne. Une sociologie de la délégation".

Lundi 7 décembre 2020 - 14h-18h - En distanciel.

Pour assister, contacter M.-J. Boisson: boisson.marine@hotmail.fr

 

Membres du jury: Daniel Benamouzig (CSO) - Marc-Antoine Berthod (Haute école du travail et de la santé de Lausanne) - Michel Castra (Université de Lille) - Cyril Lemieux (LIER-FYT, co-directeur de la thèse) - Catherine Rémy (CEMS, co-directrice de la thèse) - Irène Théry (EHESS) - Pascale Trompette (PACTE).

Résumé: En France, comme dans d’autres nations européennes et nord-américaines, on a assisté depuis le début du XIXe siècle à un lent et continu processus de sécularisation des pratiques liées à la mort. C’est dorénavant surtout à des professionnels, plutôt qu’aux familles et aux communautés religieuses, qu’il revient de prendre en charge le soin à l’égard des mourants et des morts. Loin de s’être accomplie paisiblement, cette délégation a d’emblée soulevé des oppositions fortes: n’ouvrait-elle pas la voie à une objectivation et à une anonymisation, et, partant, à une déshumanisation du traitement de ces individus, dès lors que ceux-ci se trouvaient intégrés à des dispositifs institutionnels conçus pour gérer à grande échelle des flux de mourants et de morts? Les critiques adressées à cette délégation ont été particulièrement vives à partir des années 1970, au moment où la «filière hospitalo-mortuaire» se massifiait. En réponse, elles ont entraîné l’institutionnalisation, parmi ces mêmes spécialistes, de pratiques de subjectivation des patients, conduisant à mieux tenir compte de leur dimension biographique et de leur inscription dans des groupes sociaux. Comment la délégation des soins aux mourants et aux morts peut-elle être régulée par des obligations tout à la fois d’objectivation et de subjectivation des mourants et des morts?

C’est à comprendre cette difficulté pratique que s’attache cette thèse. Pour ce faire, on y revient d’abord sur l’émergence de «travailleurs de la mort» au XIXe siècle, avant de retracer les principales crises morales qui touchent le développement de la délégation des soins aux mourants et aux morts tout au long du XXe siècle. Ce retour historique permet de mettre en lumière que si cette délégation est d’emblée traversée par une tension entre processus d’objectivation du corps et processus de subjectivation des individus mourants et décédés, ce dernier se déploie alors principalement en dehors des dispositifs professionnels. On propose ensuite une ethnographie de lactivité de soin dans le contexte actuel, où le devoir de subjectivation a été institué dans l’hôpital. On suit ainsi le réseau des interventions professionnelles spécialisées dans un service de cancérologie générale, un service de soins palliatifs et une chambre mortuaire hospitalière. Au final, cette double enquête, historique et ethnographique, montre que si les critiques adressées à l’activité des professionnels des soins aux mourants et aux morts n’ont pas stoppé le mouvement de délégation, et si, a fortiori, elles ont échoué à le faire régresser, elles ont néanmoins eu des effets profonds et parfois inattendus sur la façon dont ces professionnels règlent la tension entre objectivation des corps et subjectivation des individus. Elle montre également en quoi à la critique de la désubjectivation des mourants et des morts s’ajoute désormais celle, symétrique, d’un possible manque d’objectivation des corps. Elle montre enfin comment ce jeu de critiques croisées se maintient et se renouvelle, du fait qu’il rend explicite une tension dont l’origine se trouve dans les pratiques les plus quotidiennes des professionnels.

À travers ces analyses, cette thèse renoue avec la perspective durkheimienne sur deux points essentiels. En premier lieu, elle se veut un apport à la réflexion concernant ce que Durkheim appelait le «culte de la personne», caractéristique selon lui des sociétés modernes. On y montre en effet que si la sécularisation des soins, à l’origine de leur rationalisation,apparait bel et bien comme un phénomène typique de nos sociétés, elle ne conduit pas pour autant à la réduction de l’humain à sa seule dimension matérielle.Notre enquête tend à prouver, au contraire, qu’un culte séculier de la personne est observable dans les pratiques quotidiennes des professionnels de la fin de vie et de la mortce qui n’exclut pas qu’il soit contenu, mis en échec et soumis à des attentes de libre adhésion. En second lieu,cette thèse souligne en quoi la possibilité de traiter les mourants et les morts comme des «personnes» de les «personnaliser» pourrait-on dire dépend d’abord, dans nos sociétés, d’un certain état de la division du travail, c’est-à-dire de l’existence de différents spécialistes et d’une régulation organique de leurs activités. À cet égard, elle suggère que ce n’est pas en abolissant la délégation des soins à des experts que le «culte de la personne» a le plus de chances d’être honoré dans nos sociétés.C’est plutôt en régulant la vie morale qui émane de cette délégation, susceptible de produire des excès dobjectivation comme des excès de subjectivation, que des nouveaux modes de régulation,respectueux de ce « culte de la personne», peuvent être élaborés.

 

Mots clefs: Sociologie du travail - Délégation - Mort - Personnalisation - Corps - Modernité - Religon de la personne.

 

Rubriques à consulter

EHESS
CNRS

 

Motion du LIER-FYT concernant le projet de loi sur les retraites et la LPPR

 

Les membres statutaires et les représentantes des doctorant·e·s du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas (LIER-FYT, EHESS-CNRS, FRE 2024), réuni·e·s en Assemblée générale le 21 janvier 2020, et ses doctorant·e·s, réuni·e·s (via un vote électronique les 22 et 23 janvier 2020), déclarent leur opposition au projet de loi sur les retraites, aux orientations qui prévalent dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et aux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique.

Ces prétendues réformes qui poussent plus loin encore le démantèlement de l’État social, la dislocation du service public et la mise au pas de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui plongent un peu plus les jeunes dans la précarité, aggravent les inégalités de statut et de condition et vouent un plus grand nombre d’ancien·ne·s à vivre dans le besoin, nous touchent, nous qui pratiquons les sciences sociales, à un point névralgique. Car les institutions de l’État social et du service public et les sciences sociales sont inextricablement liées : elles résultent d’une même transformation historique qui, à travers des crises et des luttes sociales, a conduit dans nos sociétés à toujours davantage d’intégration et de solidarité. La protection sociale et l’existence d’un secteur public ont progressivement exprimé et réalisé cette tendance sur le plan de l’organisation sociale, tandis que les sciences sociales contribuent à en renforcer les effets dans la conscience collective en même temps qu’elles en mesurent les limites et aident à les surmonter. Cette transformation est loin d’être achevée. Elle se heurte, avec notamment la crise écologique, à des défis considérables qui rendent les sciences sociales plus nécessaires que jamais. Inscrire les réformes en cours dans l’histoire longue de nos sociétés les révèle ainsi dans ce qu’elles sont : des régressions. Dans l’immédiat, il est indispensable que nous y opposions notre refus. Mais au-delà de cette mobilisation nécessaire, nous affirmons notre détermination à continuer notre métier, celui des sciences sociales, dans le cadre du service public d’enseignement supérieur et de recherche. Nous refusons de voir notre fonction sociale réduite aux exigences d’une ingénierie gestionnaire destinée à asservir la vie sociale aux logiques de marché plutôt que d’y favoriser l’épanouissement du bien commun.

Pour ces raisons,

1) Nous appelons chacun·e à soutenir les mobilisations contre la réforme des retraites et contre la transformation de la fonction publique et de l’enseignement supérieur et de la recherche, à participer aux assemblées générales et aux journées d’action interprofessionnelle et à faire preuve de solidarité, notamment en contribuant aux caisses de grève, avec les secteurs professionnels qui portent actuellement l’essentiel de l’effort de mobilisation.

2) Nous demandons aux institutions d’enseignement supérieur dans lesquelles nous exerçons de mettre en place des règles claires qui permettent aux étudiant·e·s de s’engager, sans être pénalisé·e·s, dans le mouvement qui a pour enjeu leur avenir. (Ces règles doivent, à notre sens, prendre la forme d’un réaménagement des modalités et des temps d’enseignement et d’apprentissage plutôt que de procédures de validation automatique des compétences et savoirs acquis.

3) Nous réclamons que le gouvernement sursoie au projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et organise une concertation digne de ce nom, afin de définir collectivement les conditions d’une véritable refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’en déterminer le calendrier et les moyens, dans le respect des qualifications et des vocations de ceux qui y consacrent toute leur énergie et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Nous mandatons la direction de notre unité à signer l’« Appel à signature des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d’États généraux de la Recherche et de l’Enseignement supérieur » (voir ici).

Motion adoptée par l’Assemblée générale du LIER-FYT le 21 janvier 2020 par 20 votes favorables et 2 abstentions, et par l’Assemblée générale des doctorant·e·s du LIER-FYT (via un vote électronique) le 22 et 23 janvier 2020 par 32 votes favorables (aucune abstention, ni vote défavorable).


 

LIER-FYT
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d'études sur les réflexivités - Fonds Yan Thomas
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Tel : 33 (0) 1 49 54 20 61
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