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20 décembre 2018: "Sociologie du pouvoir absolu"

20 décembre 2018:

Soutenance de la thèse d'Aleksandr Lutsenko (LIER) intitulée "(In)soumissions en direct. Enquête sur la production d'une autorité "absolue" du chef de l'Etat dans la Russie contemporaine (1990-2018)"

 

54 boulevard Raspail. Salle A07_37 - 20 décembre 2018 - 14h-18h.

Membres du jury: Françoise Daucé (DE à l'EHESS) - Florence Delmotte (PR à l'université Saint-Louis à Bruxelles) - Gilles Favarel-Garrigues (DR CNRS à Sciences Po) - Jean-Philippe Heurtin (PR à l'université de Strasbourg) - Cyril Lemieux (DE à l'EHESS, directeur de la thèse) - Louis Quéré (DR CNRS à l'EHESS).


Résumé: Comment se constitue un pouvoir politique réputé absolu là où dans la séquence historique immédiatement antérieure le chef de l’Etat ne jouissait pas d’une position prééminente et où s’observaient au contraire entre lui et les autres membres des élites de faibles écarts statutaires ? Norbert Elias avait placé cette énigme au cœur de ses réflexions dans La société de cour. L’ambition de cette thèse est de la reprendre à partir d’un tout autre contexte socio-historique et sur une temporalité plus courte : en s’inspirant de la démarche éliasienne mais aussi de certains apports de la sociologie pragmatique et de l’ethnométhodologie, il s’agit de comprendre comment, en l’espace d’à peine deux décennies, un rapport de domination politique particulièrement marqué a pu s’instaurer en Russie entre le chef de l’Etat et les magnats de l’économie. Dans les années 1990, ces derniers, qu'on appelait alors "oligarques", étaient réputés faire jeu égal avec le pouvoir politique, sinon le dominer : vingt ans plus tard, les leaders des milieux d’affaires adoptent en public des attitudes de docilité à l’égard du chef de l’Etat, selon une modalité cérémonielle qui n’est pas sans rappeler celle qui caractérisait le rapport des courtisans au monarque dans les sociétés d’ordre.

Pour analyser le processus de cette soumission, la thèse se centre sur une forme particulière de cérémonial public : les émissions télévisées dans lesquelles des journalistes interviewent des membres des élites économiques. Fondé sur l’analyse d’un corpus d’émissions diffusées sur la chaîne de télévision publique Russie 24 et sur celle, "indépendante", Dozhd, ce dispositif d’enquête permet de mettre en lumière les procédés à travers lesquels les participants aux émissions se manifestent mutuellement l’autorité d’un président dont la particularité est d’être alors physiquement absent de la situation d’interaction. Il permet, à cet égard, de prendre la pleine mesure du rôle central que les attentes partagées et les processus interprétatifs en situation jouent dans ce que Norbert Elias appelle le "mécanisme du pouvoir". En suivant ce fil, la thèse étudie ensuite, à l’aide d’entretiens réalisés avec les journalistes et les responsables des deux chaînes de télévision concernées, comment les dispositifs d’interview télévisé des magnats russes sont construits, pensés et préparés en vue de mettre à l'épreuve la capacité des interviewés à se soumettre au pouvoir politique. Enfin, elle explore la question éliasienne du changement du psychisme chez ceux qui se soumettent : en s’appuyant sur l’analyse d’un corpus de données de presse et de documents audiovisuels, elle tente de comprendre comment la nouvelle attitude, soumise, des élites économiques à l’égard du pouvoir politique a été collectivement interprétée et comment, à cette occasion, une nouvelle forme de "personnalité" a été valorisée chez les élites économiques. A travers ces trois moments successifs, la thèse suggère que, contrairement à la croyance entretenue par le monarque "absolu", le fondement de la domination politique qu’il exerce, réside moins dans sa puissance propre ou son charisme que dans les interactions entre ses sujets et dans les croyances que ces dernières entretiennent parmi eux.

 

Mots-clés : Russie contemporaine; domination politique; Norbert Elias; sociologie des élites; médias russes; Vladimir Poutine.

En savoir plus sur Aleksandr Lutsenko.

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Motion du LIER-FYT concernant le projet de loi sur les retraites et la LPPR

 

Les membres statutaires et les représentantes des doctorant·e·s du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas (LIER-FYT, EHESS-CNRS, FRE 2024), réuni·e·s en Assemblée générale le 21 janvier 2020, et ses doctorant·e·s, réuni·e·s (via un vote électronique les 22 et 23 janvier 2020), déclarent leur opposition au projet de loi sur les retraites, aux orientations qui prévalent dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et aux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique.

Ces prétendues réformes qui poussent plus loin encore le démantèlement de l’État social, la dislocation du service public et la mise au pas de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui plongent un peu plus les jeunes dans la précarité, aggravent les inégalités de statut et de condition et vouent un plus grand nombre d’ancien·ne·s à vivre dans le besoin, nous touchent, nous qui pratiquons les sciences sociales, à un point névralgique. Car les institutions de l’État social et du service public et les sciences sociales sont inextricablement liées : elles résultent d’une même transformation historique qui, à travers des crises et des luttes sociales, a conduit dans nos sociétés à toujours davantage d’intégration et de solidarité. La protection sociale et l’existence d’un secteur public ont progressivement exprimé et réalisé cette tendance sur le plan de l’organisation sociale, tandis que les sciences sociales contribuent à en renforcer les effets dans la conscience collective en même temps qu’elles en mesurent les limites et aident à les surmonter. Cette transformation est loin d’être achevée. Elle se heurte, avec notamment la crise écologique, à des défis considérables qui rendent les sciences sociales plus nécessaires que jamais. Inscrire les réformes en cours dans l’histoire longue de nos sociétés les révèle ainsi dans ce qu’elles sont : des régressions. Dans l’immédiat, il est indispensable que nous y opposions notre refus. Mais au-delà de cette mobilisation nécessaire, nous affirmons notre détermination à continuer notre métier, celui des sciences sociales, dans le cadre du service public d’enseignement supérieur et de recherche. Nous refusons de voir notre fonction sociale réduite aux exigences d’une ingénierie gestionnaire destinée à asservir la vie sociale aux logiques de marché plutôt que d’y favoriser l’épanouissement du bien commun.

Pour ces raisons,

1) Nous appelons chacun·e à soutenir les mobilisations contre la réforme des retraites et contre la transformation de la fonction publique et de l’enseignement supérieur et de la recherche, à participer aux assemblées générales et aux journées d’action interprofessionnelle et à faire preuve de solidarité, notamment en contribuant aux caisses de grève, avec les secteurs professionnels qui portent actuellement l’essentiel de l’effort de mobilisation.

2) Nous demandons aux institutions d’enseignement supérieur dans lesquelles nous exerçons de mettre en place des règles claires qui permettent aux étudiant·e·s de s’engager, sans être pénalisé·e·s, dans le mouvement qui a pour enjeu leur avenir. (Ces règles doivent, à notre sens, prendre la forme d’un réaménagement des modalités et des temps d’enseignement et d’apprentissage plutôt que de procédures de validation automatique des compétences et savoirs acquis.

3) Nous réclamons que le gouvernement sursoie au projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et organise une concertation digne de ce nom, afin de définir collectivement les conditions d’une véritable refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’en déterminer le calendrier et les moyens, dans le respect des qualifications et des vocations de ceux qui y consacrent toute leur énergie et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Nous mandatons la direction de notre unité à signer l’« Appel à signature des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d’États généraux de la Recherche et de l’Enseignement supérieur » (voir ici).

Motion adoptée par l’Assemblée générale du LIER-FYT le 21 janvier 2020 par 20 votes favorables et 2 abstentions, et par l’Assemblée générale des doctorant·e·s du LIER-FYT (via un vote électronique) le 22 et 23 janvier 2020 par 32 votes favorables (aucune abstention, ni vote défavorable).


 

LIER-FYT
Laboratoire interdisciplinaire
d'études sur les réflexivités - Fonds Yan Thomas
Directeur: Cyril Lemieux
Directrice adjointe : Julia Christ
A629 - 54 Boulevard Raspail 75006 Paris

Tel : 33 (0) 1 49 54 20 61
Prtncipaux contacts : voir ici

 

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