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24 janvier 2019: "Une généalogie de la raison critique"
Soutenance de la thèse de Goran Gaber (LIER-FYT, pôle philosophie) intitulée "Histoire et logique de la raison critique. De la philologie classique à la réflexion transcendantale (XVIe-XVIIIe siècle)"
54 boulevard Raspail. Salle A07_37 - 24 janvier 2019 - 14h-18h.
Membres du jury: Bruno Karsenti (DE à l'EHESS, directeur de la thèse) - Ethan Kleinberg (PR à Wesleyan University) - Sabina Loriga (DE à l'EHESS) - Maria-Cristina Pitassi (PR à l'université de Genève) - Jean-Yves Pranchère (PR à l'université libre de Bruxelles).
Résumé: Depuis l’époque des Lumières, la notion de critique représente l’un de ces termes par lesquelles les sociétés occidentales modernes tentent de se définir elles-mêmes, en se distinguant ainsi, et des sociétés qui les précédaient et des celles avec lesquelles elles continuent de coexister. Si Immanuel Kant a affirmé que son siècle était « le » siècle de la critique, à laquelle tout devait se soumettre, et si Karl Marx a assuré que même la critique de la religion était désormais achevée, les sociétés contemporaines continuent de miser sur la « pensée critique », pour éduquer leurs citoyens futurs, pour combattre les phénomènes du « fake news » ainsi que de la radicalisation religieuse, et même pour faire face à la quatrième révolution industrielle. En suivant Reinhart Koselleck, on pourrait donc dire que la critique représente l’un des Grundbegriffede la modernité, c’est-à-dire, un concept fondamental qui, à la fois, structure nos pensées et oriente nos actions.
Pourtant, en s’y penchant de plus près, il est curieux de voir que cette heureuse modernité critique souffre d’un double embarras, théorique et pratique, qui paraît la subvertir de l’intérieur. C’est que, d’une part, nous semblons tout simplement incapables de proposer une définition tenable de la critique, c’est-à-dire, justement de cette disposition d’esprit qui est censée de propulser la pensée ainsi que de cet outil épistémologique destiné à l’arrêter. D’autre part, ce sont ses porte-paroles eux-mêmes qui soulignent que la critique contemporaine doit avouer son inaptitude à faire face au « retour du religieux » ; reconnaître son impuissance quant à la déstabilisation du régime de savoir structurant et l’espace publique et les domaines scientifiques ; ainsi qu’admettre sa complicité dans la désorientation de la sphère politique.
D'un point de vue philosophique, cette situation logiquement défectueuse et pratiquement intenable appelle une réflexion conceptuelleconcernant les processus de pensée impliqués dans ce que nous désignons comme « pensée critique », ainsi qu'une clarification historique quant aux sources sociales des principes guidant cette forme de pensée.
D’une part, en analysant la logique du déroulement du geste critique de Kant, cet œuvre critique coïncidant avec « l’avènement de la modernité », nous avons pu discerner qu’il se déroule en suivant des principes bien précis, des principes déterminant son rapport au passé, son attitude face à l’autorité, ainsi que la manière dont il accède à la vérité. D’autre part, à l’aide d’une généalogie conceptuelle de la critique, nous nous sommes aperçus que ce phénomène n’est pas né, comme on le pense communément, en s’opposant à, mais bien à l’intérieur du domaine religieux. En fait, lorsqu’il apparut en Occident aux XVIeet XVIIesiècles, le concept de critique fut élaboré, d’une manière quasi exclusive, par les auteurs réformés.
Alors, c’est surtout dans ce dernier fait que réside la clef d’une interprétation convenable du phénomène moderne de la critique, dont le caractère « protestataire » (son insistance sur l’émancipation impérative face au passé ; son opposition incessante à l'autorité ; et son obligation de « penser par soi-même ») ne peut être convenablement compris que sur l’arrière-plan des axiomes constitutifs des confessions protestantes, conformément auxquels il a été élaboré. Bref, si jusqu’ici la critique était considérée comme le symbole du caractère « éclairé » de la modernité, notre thèse montre qu’il s’agit plutôt d’un symptôme de son passé « réformé ».
Une telle réinterprétation du phénomène de la critique nous montre donc, d’une part, que la désorientation pratique de la modernité est le signe d’une aporie conceptuelle, une aporie qui se produit lorsque la critique se trouve fondée dans les capacités inhérentes à l’être humain – ce qui non seulement contredit la thèse initiale de la critique comme un phénomène proprement moderne et spécifiquement occidentale, mais finit également par compromettre son efficacité sociale. D’autre part, elle met en relief le fait que cette aporie conceptuelle est issue d’une tension idéologique, se situant dans la continuation d’un conflit théologico-politique historiquement constitutif de la modernité occidentale, celui entre l’Église catholique et les dénominations réformées. Certes, il reste à voir quelle est la direction que la critique ainsi informée pourrait prendre pour tenter de dépasser ses apories internes, mais ce qui est aussi d’ores et déjà certain, c’est que le chemin vers l’émancipation passera par une réinterprétation juste de son passé et de ce qui l’a fait émerger.
Mots clés: Lumières, modernité, critique, Kant, généalogie, religion, Foucault, histoire conceptuelle, protestantisme, Koselleck, passé, autorité, vérité.
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Motion du LIER-FYT concernant le projet de loi sur les retraites et la LPPR
Les membres statutaires et les représentantes des doctorant·e·s du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas (LIER-FYT, EHESS-CNRS, FRE 2024), réuni·e·s en Assemblée générale le 21 janvier 2020, et ses doctorant·e·s, réuni·e·s (via un vote électronique les 22 et 23 janvier 2020), déclarent leur opposition au projet de loi sur les retraites, aux orientations qui prévalent dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et aux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique.
Ces prétendues réformes qui poussent plus loin encore le démantèlement de l’État social, la dislocation du service public et la mise au pas de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui plongent un peu plus les jeunes dans la précarité, aggravent les inégalités de statut et de condition et vouent un plus grand nombre d’ancien·ne·s à vivre dans le besoin, nous touchent, nous qui pratiquons les sciences sociales, à un point névralgique. Car les institutions de l’État social et du service public et les sciences sociales sont inextricablement liées : elles résultent d’une même transformation historique qui, à travers des crises et des luttes sociales, a conduit dans nos sociétés à toujours davantage d’intégration et de solidarité. La protection sociale et l’existence d’un secteur public ont progressivement exprimé et réalisé cette tendance sur le plan de l’organisation sociale, tandis que les sciences sociales contribuent à en renforcer les effets dans la conscience collective en même temps qu’elles en mesurent les limites et aident à les surmonter. Cette transformation est loin d’être achevée. Elle se heurte, avec notamment la crise écologique, à des défis considérables qui rendent les sciences sociales plus nécessaires que jamais. Inscrire les réformes en cours dans l’histoire longue de nos sociétés les révèle ainsi dans ce qu’elles sont : des régressions. Dans l’immédiat, il est indispensable que nous y opposions notre refus. Mais au-delà de cette mobilisation nécessaire, nous affirmons notre détermination à continuer notre métier, celui des sciences sociales, dans le cadre du service public d’enseignement supérieur et de recherche. Nous refusons de voir notre fonction sociale réduite aux exigences d’une ingénierie gestionnaire destinée à asservir la vie sociale aux logiques de marché plutôt que d’y favoriser l’épanouissement du bien commun.
Pour ces raisons,
1) Nous appelons chacun·e à soutenir les mobilisations contre la réforme des retraites et contre la transformation de la fonction publique et de l’enseignement supérieur et de la recherche, à participer aux assemblées générales et aux journées d’action interprofessionnelle et à faire preuve de solidarité, notamment en contribuant aux caisses de grève, avec les secteurs professionnels qui portent actuellement l’essentiel de l’effort de mobilisation.
2) Nous demandons aux institutions d’enseignement supérieur dans lesquelles nous exerçons de mettre en place des règles claires qui permettent aux étudiant·e·s de s’engager, sans être pénalisé·e·s, dans le mouvement qui a pour enjeu leur avenir. (Ces règles doivent, à notre sens, prendre la forme d’un réaménagement des modalités et des temps d’enseignement et d’apprentissage plutôt que de procédures de validation automatique des compétences et savoirs acquis.
3) Nous réclamons que le gouvernement sursoie au projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et organise une concertation digne de ce nom, afin de définir collectivement les conditions d’une véritable refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’en déterminer le calendrier et les moyens, dans le respect des qualifications et des vocations de ceux qui y consacrent toute leur énergie et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Nous mandatons la direction de notre unité à signer l’« Appel à signature des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d’États généraux de la Recherche et de l’Enseignement supérieur » (voir ici).
Motion adoptée par l’Assemblée générale du LIER-FYT le 21 janvier 2020 par 20 votes favorables et 2 abstentions, et par l’Assemblée générale des doctorant·e·s du LIER-FYT (via un vote électronique) le 22 et 23 janvier 2020 par 32 votes favorables (aucune abstention, ni vote défavorable).
LIER-FYT
Laboratoire interdisciplinaire
d'études sur les réflexivités - Fonds Yan Thomas
Directeur: Cyril Lemieux
Directrice adjointe : Julia Christ
A629 - 54 Boulevard Raspail 75006 Paris
Tel : 33 (0) 1 49 54 20 61
Prtncipaux contacts : voir ici