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2018-2021: Religions monothéistes et mouvements sociaux d’émancipation

Continuités et transformations dans la constitution des sujets critiques

Projet financé par l'Agence nationale de la Recherche (PRC. Convention n° ANR-17-CE41-0006-01)

Durée: 42 mois (2018-2021)

Responsables: Bruno Karsenti (LIER-FYT) et Julia Christ (LIER-FYT).

Partenaires : CRH (EHESS) et CRPMS (Université Paris 7).

Dans l’horizon de la pensée de l’émancipation moderne la religion, telle qu’elle est pratiquée dans les sociétés occidentales modernes, c'est-à-dire sous sa forme monothéiste, apparaît le plus souvent comme négation de la modernité. Elle y entre soit comme objet de la critique (de Feuerbach à Marx et aujourd’hui à Habermas, Taylor ou Gauchet se poursuit le motif d’une modernité par essence sécularisée), soit comme cette forme de la critique qui, dans une visée conservatrice, est censée endiguer les « excès » de l’individualisation et de l’individualisme moderne.

Le projet se propose d’aller à contre-courant de cette disjonction entre religion et modernité. Nous partons de la thèse suivante : les religions monothéistes, grâce à leur logique interne articulée autour du concept de justice, non seulement ont contribué mais peuvent contribuer encore aujourd’hui à mettre en forme des revendications subjectives qui sont directement en prise avec le projet critique de la modernité. Nous considérons donc la religion comme partie prenante de la modernité, et non comme son opposé. Ceci est possible à partir d’une conception exclusivement sociologique de la religion, comme puissance qui détermine les individus à agir et à penser en vue de leur salut, qu’il soit conçu individuellement ou collectivement. Cette conception signifie bien évidemment aussi d’envisager la possibilité que la critique de la religion, qui indéniablement fait partie du projet critique de la modernité, puisse être analysée comme un retournement de la force d’action et de pensée que constitue la religion contre elle-même.

Cadre théorique

On s’appuie sur l’anthropologie politique de Freud pour qui la religion est le modèle d’une pratique collective protégeant la critique individuelle contre la folie. La pensée de Freud permet en effet d’articuler d’une manière proprement moderne le lien entre « individu critique », « collectif religieux » et « société ». D’après son analyse l’individualisation du sujet par rapport à la loi commune – donc le mouvement d’émancipation des sociétés modernes –, fait en sorte que le conflit avec la loi s’exprime désormais sous forme de névrose, voire de folie, là où avant le collectif (vacillant entre respect du tabou et transgression du tabou) se faisait porteur de ce conflit. Pour Freud, comme pour Hegel ou Durkheim, les sociétés modernes, et elles seules, produisent des individus pour lesquels la critique de ce qui les institue en tant qu’individus (la loi commune, c'est-à-dire la société) constitue une obligation interne. C’est en ce sens qu’elle produit des individus autonomes critiques d’eux-mêmes.

De ce fait, ces sociétés ouvrent une double possibilité : celle de la névrose, pouvant aller jusqu’à la folie, et celle de la culture, c'est-à-dire de l’autoconstitution réflexive des sociétés. La religion se place, selon Freud, au croisement de ces deux possibilités. La névrose n’est pas le prix à payer pour la culture, à condition que le genre de collectif que représente le collectif religieux s’insère entre l’individu dans son mouvement critique – c'est-à-dire d’émancipation – et la société. Ainsi, la religion n’est pas intrinsèquement négation de la critique des individus mais peut la soutenir en lui permettant d’accéder à un langage collectif pérenne – le texte religieux et la normativité en termes de justice qu’il porte –, sauvant par-là la critique individuelle de se réduire à une pathologie individuelle. Nous retenons de cette théorisation que l’insertion d’un collectif à « langage pérenne », que Freud identifie au collectif religieux, dans le conflit entre l’individu été la société permet à la critique individuelle d’acquérir un dégrée d’abstraction qui la rend audible pour la société dans son ensemble.

Champs de recherche

1/ Consolidation de la théorie (responsables : Bruno Karsenti [LIER-FYT] et Fethi Benslama [CRPM])

On étudiera dans ce champ la religion comme pratique collective productrice d’idéaux, transmis dans les textes, à travers laquelle, paradoxalement, le conflit de l’individu avec la loi sociale peut trouver une issue, en insérant entre la critique subjective et la loi instituée un langage de justice qui est issu du collectif social lui-même et ne lui est donc pas hétérogène.

2/ Mouvement ouvrier (responsable : Frédéric Brahami (CRH))

A partir du cas du Saint-Simonisme et de ses conséquences dans le mouvement ouvrier français on étudiera les mécanismes d’absorption du langage pratique et théorique des monothéismes (juif et chrétien) par un mouvement d’émancipation nouveau, confronté à une double difficulté : premièrement celle de devoir entendre la portée universelle de critiques souvent inspirées d’abord par des expériences individuelles d’injustice ; deuxièmement celle de devoir faire accéder au débat publique des revendications critiques proférées par ces acteurs qui a priori n’avaient pas voix au chapitre dans le débat publique.

3/ Mouvement féministe (responsable : Irène Théry [Centre Norbert Elias])

Il s’agira de confronter notre thèse sur le lien intrinsèque entre mouvement d’émancipation et reprise du langage pratique et théorique des religions monothéistes à un objet contradictoire. On étudiera les pratiques de transmission et d’historicisation de demandes de justice dans un mouvement social, le féminisme, que tout détermine à récuser la forme de transmission des religions monothéistes. On examinera à cette fin deux grands débats qui traversent le mouvement féministe actuel : d’une part celui autour de la filiation (procréation assistée), d’autre part celui qui anime les mouvements féministes d’émancipations islamiques.

Membres de l’équipe : Yannick Barthe (LIER-FYT), Fethi Benslama (CRPMS), Frédéric Brahami (CRH), Pierre-Henri Castel (LIER/IMM), Pierre Charbonnier (LIER-FYT), Julia Christ (LIER-FYT), Stefania Ferrando (LIER-FYT), Geneviève Fraisse (CNRS émérite), Edouard Gardella (LIER-FYT), Maurizio Gribaudi (CRH), Samuel Hayat (CERAPS/Univ. Lille), Jean-Philippe Heurtin (IEP Strasbourg/LIER-FYT), Florence Hulak (Labtop/LIER-FYT), Isabelle Kalinowski (Transferts culturels), Thierry Lamote (CRPMS), Laurie Laufer (CRPMS), Sabina Loriga (CRH), Julie Mazaleigue (ISJPS), Gildas Salmon (LIER-FYT), Nadia Setti (Paris 8-Legs), Irène Théry (Centre Norbert Elias), Danny Trom (LIER-FYT)

EHESS
CNRS

 

Motion du LIER-FYT concernant le projet de loi sur les retraites et la LPPR

 

Les membres statutaires et les représentantes des doctorant·e·s du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas (LIER-FYT, EHESS-CNRS, FRE 2024), réuni·e·s en Assemblée générale le 21 janvier 2020, et ses doctorant·e·s, réuni·e·s (via un vote électronique les 22 et 23 janvier 2020), déclarent leur opposition au projet de loi sur les retraites, aux orientations qui prévalent dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et aux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique.

Ces prétendues réformes qui poussent plus loin encore le démantèlement de l’État social, la dislocation du service public et la mise au pas de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui plongent un peu plus les jeunes dans la précarité, aggravent les inégalités de statut et de condition et vouent un plus grand nombre d’ancien·ne·s à vivre dans le besoin, nous touchent, nous qui pratiquons les sciences sociales, à un point névralgique. Car les institutions de l’État social et du service public et les sciences sociales sont inextricablement liées : elles résultent d’une même transformation historique qui, à travers des crises et des luttes sociales, a conduit dans nos sociétés à toujours davantage d’intégration et de solidarité. La protection sociale et l’existence d’un secteur public ont progressivement exprimé et réalisé cette tendance sur le plan de l’organisation sociale, tandis que les sciences sociales contribuent à en renforcer les effets dans la conscience collective en même temps qu’elles en mesurent les limites et aident à les surmonter. Cette transformation est loin d’être achevée. Elle se heurte, avec notamment la crise écologique, à des défis considérables qui rendent les sciences sociales plus nécessaires que jamais. Inscrire les réformes en cours dans l’histoire longue de nos sociétés les révèle ainsi dans ce qu’elles sont : des régressions. Dans l’immédiat, il est indispensable que nous y opposions notre refus. Mais au-delà de cette mobilisation nécessaire, nous affirmons notre détermination à continuer notre métier, celui des sciences sociales, dans le cadre du service public d’enseignement supérieur et de recherche. Nous refusons de voir notre fonction sociale réduite aux exigences d’une ingénierie gestionnaire destinée à asservir la vie sociale aux logiques de marché plutôt que d’y favoriser l’épanouissement du bien commun.

Pour ces raisons,

1) Nous appelons chacun·e à soutenir les mobilisations contre la réforme des retraites et contre la transformation de la fonction publique et de l’enseignement supérieur et de la recherche, à participer aux assemblées générales et aux journées d’action interprofessionnelle et à faire preuve de solidarité, notamment en contribuant aux caisses de grève, avec les secteurs professionnels qui portent actuellement l’essentiel de l’effort de mobilisation.

2) Nous demandons aux institutions d’enseignement supérieur dans lesquelles nous exerçons de mettre en place des règles claires qui permettent aux étudiant·e·s de s’engager, sans être pénalisé·e·s, dans le mouvement qui a pour enjeu leur avenir. (Ces règles doivent, à notre sens, prendre la forme d’un réaménagement des modalités et des temps d’enseignement et d’apprentissage plutôt que de procédures de validation automatique des compétences et savoirs acquis.

3) Nous réclamons que le gouvernement sursoie au projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et organise une concertation digne de ce nom, afin de définir collectivement les conditions d’une véritable refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’en déterminer le calendrier et les moyens, dans le respect des qualifications et des vocations de ceux qui y consacrent toute leur énergie et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Nous mandatons la direction de notre unité à signer l’« Appel à signature des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d’États généraux de la Recherche et de l’Enseignement supérieur » (voir ici).

Motion adoptée par l’Assemblée générale du LIER-FYT le 21 janvier 2020 par 20 votes favorables et 2 abstentions, et par l’Assemblée générale des doctorant·e·s du LIER-FYT (via un vote électronique) le 22 et 23 janvier 2020 par 32 votes favorables (aucune abstention, ni vote défavorable).


 

LIER-FYT
Laboratoire interdisciplinaire
d'études sur les réflexivités - Fonds Yan Thomas
Directeur: Cyril Lemieux
Directrice adjointe : Julia Christ
A629 - 54 Boulevard Raspail 75006 Paris

Tel : 33 (0) 1 49 54 20 61
Prtncipaux contacts : voir ici

 

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lier-fyt_info-request[at]ehess.fr