Séminaires et ateliers | Séminaires 2019-2020
Régis Ponsard & Xavier Souvignet : "Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique"
Séminaire animé par • Régis Ponsard ; Xavier Souvignet
4e jeudi du mois de 14 h à 16 h (salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris), du 23 janvier 2020 au 25 juin 2020
L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux révèle un paradoxe : le déploiement de la protection juridique des droits et libertés fondamentaux par voie dispositionnelle et jurisprudentielle à tous les niveaux de la hiérarchie des normes des systèmes juridiques censés poursuivre l’idéal d’un État de droit fort, n’est pas accompagné d’un progrès corrélatif de la théorie juridique générale de ces droits et libertés. Les informations juridiques particulières fournies sur tel ou tel droit ou liberté sont légions. Mais, les connaissances acquises et justifiées scientifiquement, comme plus généralement les cadres susceptibles d’être qualifiés de « théorie générale des droits et libertés fondamentaux » (et à même d’identifier ainsi la grammaire de ces objets juridiques et de mettre à jour les moyens intellectuels propres à les analyser de façon juridiquement et scientifiquement critique) sont, en France, comme sur la scène internationale, peu nombreux et loin d’être en mesure de répondre scientifiquement à des questions qui pourraient pourtant paraître élémentaires – quels que soient par ailleurs les notables et précieux succès accomplis par certaines recherches.
Une philosophie des droits et des libertés fondamentaux n’est pas une théorie juridique de ces structures juridiques de protection. De plus, la mise en oeuvre efficace de toute doctrine des droits et libertés fondamentaux dépend aussi de la théorisation juridique de ces instruments normatifs. Or, contrairement à une idée reçue communément partagée y compris dans l’opinio juris, la science du droit en l’état de ses développements n’offre pas véritablement aux juristes (magistrats, avocats, conseillers juridiques, universitaires….), ainsi qu’aux destinataires des normes désireux de connaître leurs droits et libertés juridico-politiques – et plus généralement à tous ceux en mesure de transcrire juridiquement des idéaux politiques – les moyens intellectuels de saisir et donc de maîtriser par la connaissance ces structures dans nombre de leurs composantes et dimensions juridiques les plus caractéristiques. Cela contribue à expliquer certaines des illusions juridiques sur l’état réel de la capacité des systèmes juridiques à faire ce qu’ils semblent pourtant annoncer en matière de protection de ces droits et libertés fondamentaux, et le décalage existant entre la confiance placée dans ces structures et la relative insuffisance théorique de leur analyse juridique réelle, favorisée par la grande complexité des problèmes scientifiques qu’elles soulèvent. Leurs études en droit sont ainsi sous la dépendance de la pensée juridique, et plus exactement de la capacité de la théorie du droit et des développements de l’épistémologie juridique appliquée à les penser.
Le séminaire se donnera pour objets d’études, au cours de cette première année, de penser notamment : l’absence d’identification liminaire explicite opératoire (pourtant logiquement exigée) des concepts d’analyse des « droits » et « libertés fondamentaux », dans les études juridiques censées pourtant former les professionnels du droit à l’étude de ces droits et libertés ; l’absence, dans ces études, de théorisation et donc d’explicitation de l’articulation juridique imposée par les systèmes juridiques étudiés, entre les niveaux de protection des droits et libertés fondamentaux dans la hiérarchie des normes ; l’absence d’imagination par les doctrines du droit, de nouvelles règles de résolution des conflits de normes relatifs aux droits et libertés fondamentaux bien plus élaborées et efficaces que celles encore aujourd’hui présentes dans les systèmes juridiques et les nouveaux textes de protection des droits et libertés (à l’image, par exemple, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ; l’insuffisante théorisation des différents types d’objets susceptibles d’être qualifiés de « réserve législative » etc.
Nous analyserons également les problèmes et débats scientifiques aujourd’hui soulevés par l’introduction dans le contrôle opéré par la Cour de cassation française du « contrôle » dit « de proportionnalité », censé être exigé par le respect par l’État Français de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, ainsi que les conséquences de « la reconnaissance d’une autorité de chose interprétée » aux décisions de nombreuses juridictions nationales, européennes et communautaires, et leurs incidences aujourd’hui sur la capacité non seulement pour tout « honnête homme » mais pour la science du droit la plus avancée à offrir les moyens de connaître avant que l’on agisse, ce qui est obligatoire, permis ou interdit, juridiquement.
L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux à la lumière des recherches en épistémologie juridique pourrait en effet révéler cette autre conséquence paradoxale, et lourde de conséquences, de la protection contemporaine des droits et libertés relativement à la sécurité juridique. L’épistémologie juridique appliquée peut tout à la fois aider à mettre à jour cette conséquence et rechercher à contribuer à l’éliminer, en permettant à la philosophie du droit, à la philosophie politique, aux doctrines générales du droit et de l’État qui le souhaiteraient, de disposer des moyens juridiques de leurs déploiements efficaces. Toutefois, c’est à la condition que cette épistémologie juridique soit élaborée – comme nous le proposons – à partir d’une articulation épistémologiquement réfléchie (au cœur d’une science du droit digne de ce nom), de la théorie générale du droit et de l’État avec les disciplines et sciences humaines et sociales dont elle a constitutivement besoin, et auxquelles elle peut offrir réciproquement ses apports.
Rubriques à consulter
- Yannick Barthe, Cyril Lemieux & Samuel Thomas: "Sociologies d’aujourd’hui"
- Pierre-Henri Castel: "Philosophie et sciences sociales"
- Julia Christ & Mathurin Schweyer: "Retour sur la théorie critique de la société"
- Emanuele Conte & Pierre Thévenin : "Histoires déconnectées. Médiévalismes et nationalisation de la culture juridique en Europe (XIXe-XXe siècle)"
- Michel de Fornel & Christian Licoppe : "Analyser l’activité « telle qu’elle se fait » : les bases conceptuelles et méthodologiques de l’enquête vidéo-ethnographique (sociologie interactionniste, ethnométhodologie, analyse de conversation)
- Francis Zimmermann, Michel de Fornel & Maud Verdier : "Anthropologie et linguistique : convergences et recherches actuelles"
- Michel de Fornel, Bruno Ambroise & Philippe Büttgen : "Assertion et performativité"
- Michel de Fornel & Vincenzo Raimondi : "Atelier d’analyse conversationnelle"
- Edouard Gardella : "Enquêtes sur le temps en sciences sociales"
- Danny Trom, Bruno Karsenti & Jacques Ehrenfreund : "Les juifs et l'Europe. Théorie, histoire, politique"
- Stefania Ferrando, Irène Théry & Veronica Ciantelli : "Féminisme et sciences sociales dans la première moitié du XXe siècle : atelier de lecture"
- Bruno Karsenti : "Socialisation et nationalisme"
- Mena B. Lafkioui : "Structure de l’information : études berbères et typologiques/Information structure : Berber and typological perspectives"
- Cyril Lemieux : "Théorie du complot et fake news : une approche sociologique"
- Emmanuel Saint-Fuscien, Cyril Lemieux & Séverine Chauvel : "Histoire et sociologie de l'éducation et des institutions scolaires"
- Cyril Lemieux, Cédric Moreau de Bellaing, Pablo Blitstein & Marion Fontaine : "Paradoxes de la modernité. Un dialogue entre sociologues et historiens"
- Dominique Linhardt & Romain Huret : "Séminaire sciences sociales et intelligence artificielle"
- Paolo Napoli : "Instituer la transmission"
- Paolo Napoli : "Droit et sciences humaines et sociales"
- Paolo Napoli, Emanuele Conte, Otto Pfersmann & Michele Spanò : "Lus et relus. Exercices de réflexions inter-temporelles"
- Otto Pfersmann : "Connaissance juridique et transformation du droit : les effets pratiques des doctrines et la question des « disciplines faibles ». Émergence et développements de « l´État de droit »"
- Otto Pfersmann & Frédéric Nef : "Réalisme et anti-réalisme axiologique et déontique"
- Régis Ponsard & Xavier Souvignet : "Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique"
- Catherine Rémy : "L'observation ethnographique dans l’enquête sociologique : initiation théorique et pratique"
- Michele Spanò : "L'antagonisme de la forme. Marx, les marxismes et le droit"
- Michele Spanò, Michela Barbot & Clément Lenoble : "Les « infrastructures » juridiques de l’économie : histoires et théories"
- Michele Spanò & Liora Israël : "Séminaire du PRI 'Terrains du droit'"
- Emmanuel Saint-Fuscien & Julien Blanc : "Acteurs, institutions et interactions : ce que la guerre transforme"
- Emmanuel Saint-Fuscien & Stéphane Audouin-Rouzeau : "La guerre transmise… (XIXe-XXIe siècle)"
- Francis Zimmermann & Jean-Claude Galey : "Anthropologie sociale en Inde et Asie du Sud"
- Francis Zimmermann : "Débats et controverses en anthropologie aujourd'hui"
Motion du LIER-FYT concernant le projet de loi sur les retraites et la LPPR
Les membres statutaires et les représentantes des doctorant·e·s du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas (LIER-FYT, EHESS-CNRS, FRE 2024), réuni·e·s en Assemblée générale le 21 janvier 2020, et ses doctorant·e·s, réuni·e·s (via un vote électronique les 22 et 23 janvier 2020), déclarent leur opposition au projet de loi sur les retraites, aux orientations qui prévalent dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et aux décrets d’application de la loi de transformation de la fonction publique.
Ces prétendues réformes qui poussent plus loin encore le démantèlement de l’État social, la dislocation du service public et la mise au pas de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui plongent un peu plus les jeunes dans la précarité, aggravent les inégalités de statut et de condition et vouent un plus grand nombre d’ancien·ne·s à vivre dans le besoin, nous touchent, nous qui pratiquons les sciences sociales, à un point névralgique. Car les institutions de l’État social et du service public et les sciences sociales sont inextricablement liées : elles résultent d’une même transformation historique qui, à travers des crises et des luttes sociales, a conduit dans nos sociétés à toujours davantage d’intégration et de solidarité. La protection sociale et l’existence d’un secteur public ont progressivement exprimé et réalisé cette tendance sur le plan de l’organisation sociale, tandis que les sciences sociales contribuent à en renforcer les effets dans la conscience collective en même temps qu’elles en mesurent les limites et aident à les surmonter. Cette transformation est loin d’être achevée. Elle se heurte, avec notamment la crise écologique, à des défis considérables qui rendent les sciences sociales plus nécessaires que jamais. Inscrire les réformes en cours dans l’histoire longue de nos sociétés les révèle ainsi dans ce qu’elles sont : des régressions. Dans l’immédiat, il est indispensable que nous y opposions notre refus. Mais au-delà de cette mobilisation nécessaire, nous affirmons notre détermination à continuer notre métier, celui des sciences sociales, dans le cadre du service public d’enseignement supérieur et de recherche. Nous refusons de voir notre fonction sociale réduite aux exigences d’une ingénierie gestionnaire destinée à asservir la vie sociale aux logiques de marché plutôt que d’y favoriser l’épanouissement du bien commun.
Pour ces raisons,
1) Nous appelons chacun·e à soutenir les mobilisations contre la réforme des retraites et contre la transformation de la fonction publique et de l’enseignement supérieur et de la recherche, à participer aux assemblées générales et aux journées d’action interprofessionnelle et à faire preuve de solidarité, notamment en contribuant aux caisses de grève, avec les secteurs professionnels qui portent actuellement l’essentiel de l’effort de mobilisation.
2) Nous demandons aux institutions d’enseignement supérieur dans lesquelles nous exerçons de mettre en place des règles claires qui permettent aux étudiant·e·s de s’engager, sans être pénalisé·e·s, dans le mouvement qui a pour enjeu leur avenir. (Ces règles doivent, à notre sens, prendre la forme d’un réaménagement des modalités et des temps d’enseignement et d’apprentissage plutôt que de procédures de validation automatique des compétences et savoirs acquis.
3) Nous réclamons que le gouvernement sursoie au projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et organise une concertation digne de ce nom, afin de définir collectivement les conditions d’une véritable refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’en déterminer le calendrier et les moyens, dans le respect des qualifications et des vocations de ceux qui y consacrent toute leur énergie et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Nous mandatons la direction de notre unité à signer l’« Appel à signature des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d’États généraux de la Recherche et de l’Enseignement supérieur » (voir ici).
Motion adoptée par l’Assemblée générale du LIER-FYT le 21 janvier 2020 par 20 votes favorables et 2 abstentions, et par l’Assemblée générale des doctorant·e·s du LIER-FYT (via un vote électronique) le 22 et 23 janvier 2020 par 32 votes favorables (aucune abstention, ni vote défavorable).
LIER-FYT
Laboratoire interdisciplinaire
d'études sur les réflexivités - Fonds Yan Thomas
Directeur: Cyril Lemieux
Directrice adjointe : Julia Christ
A629 - 54 Boulevard Raspail 75006 Paris
Tel : 33 (0) 1 49 54 20 61
Prtncipaux contacts : voir ici